Quand Monaco exporte son savoir-faire
Beaucoup résument l’économie monégasque à sa place bancaire et son casino. Pourtant, Monaco n’est pas simplement un hub de prestige : le tissu productif et exportateur de la ville-État de 2 km2 gagne en vitalité. De nombreuses entreprises exportent le « made in Monaco ».
Longtemps réduite à son image de place financière et touristique, la Principauté s’affirme comme un acteur économique à part entière, capable d’exporter. De l’industrie de niche au négoce international, des success stories entrepreneuriales aux stratégies de marque, certaines entreprises monégasques exportent leurs compétences et savoir-faire, renforçant la visibilité internationale de la marque « Monaco ».
Des fondamentaux solides
En 2024, le volume des échanges extérieurs (hors France) a franchi pour la première fois la barre des 4 milliards d’euros, avec une croissance à deux chiffres qui illustre l’intensification des flux commerciaux. Ce dynamisme n’est pas né d’hier. Dès ses origines, la Principauté a tiré parti de sa position géographique entre la France et l’Italie pour devenir un point de transit de produits agricoles, artisanaux et manufacturés. Dès le XIXᵉ siècle, la liaison ferroviaire avec la France et l’ouverture du casino de Monte-Carlo ont transformé le territoire en pôle d’attraction et de services. Plus tard, sous l’impulsion du Prince Rainier, Monaco a développé une véritable politique industrielle, ouvrant la voie à des exportations structurées dans les secteurs de l’horlogerie, de la joaillerie, de la mode et des biens manufacturés haut de gamme. Des leviers institutionnels renforcent ce rayonnement, à l’image des missions économiques du Monaco Economic Board (MEB). « Le MEB est littéralement le bras armé de la Principauté de Monaco dans le domaine économique… De plus en plus, la diplomatie est économique », rappelle son Directeur Général Exécutif, Guillaume Rose. À cela s’ajoute la stratégie de Monaco Brands, qui protège et valorise les marques « Monaco » et « Monte-Carlo » à travers des licences et partenariats. Cette stratégie de licensing permet d’industrialiser la notoriété et d’ouvrir des canaux commerciaux ciblés à l’international, tout en contrôlant l’identité de la marque.
Des success stories exportatrices
Plusieurs entreprises monégasques se sont hissées au rang d’ambassadeurs économiques - que ce soit dans la joaillerie, l’hôtellerie de prestige, la restauration ou l’innovation numérique —, montrant la capacité des PME et groupes monégasques à empaqueter un « art de vivre » monégasque exportable. Comment ne pas penser à des sociétés cotées comme la Société des bains de mer (voir page 14), fleuron de l’économie monégasque qui compte depuis 2015 parmi ses actionnaires le groupe de luxe LVMH et le casinotier chinois Galaxy Entertainment Group (environ 10 %), avec tous les relais de croissance potentiels ?
Certaines marques et start-ups ont su transformer un avantage réputationnel en ventes, licences et implantations à l’étranger comme Mercure International of Monaco (Mercure étant le dieu du commerce !). Spécialisée initialement dans l’import-export d’articles de sport, cette entreprise familiale créée en 1986 par Adnan Houdrouge s’est diversifiée dans la mode, l’alimentaire, la restauration, la beauté et le lifestyle. Présente dans 16 pays et 3 continents, elle compte 5 000 employés (dont une centaine à Monaco) et détient 250 points de vente de 50 à 5 000 m², regroupés sous des enseignes mono et multimarques (Courir, Levi’s, Celio, Kiabi, Super U, Casino…). Elle affiche un chiffre d’affaires de 185 millions d’euros à Monaco et d’un milliard d’euros dans le monde. Preuve de son influence, en 2014, Mercure International a cocréé le Club des Entrepreneurs Monégasques en Afrique (CEMA) avec quatre acteurs de la place (Ascoma, ES-KO, Rothschild Martin Maurel, Sonema) « partageant un ADN commun : celui d'être actifs sur le continent africain ». Onze ans plus tard, le CEMA, c’est 26 membres actifs, un chiffre d’affaires en Afrique d’1,6 milliard d’euros et 5 000 collaborateurs dédiés au continent africain ! *
Industrie et négoce international : deux piliers exportateurs
Car à Monaco, le négoce international fait figure de poumon économique : en 2024, il représentait plus de la moitié du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger par la Principauté. On y retrouve les secteurs attendus du bijou, de l’art ou du luxe, mais aussi des produits plus inattendus comme des denrées agroalimentaires (viande haut de gamme, produits gourmets) et même des produits pétroliers, négociés via Monaco comme plateforme commerciale.
L’industrie monégasque, compacte mais diversifiée, repose, elle, sur une centaine d’entreprises spécialisées dans la chimie fine, la pharmacie, la plasturgie, l’électronique et la construction mécanique. Ces sociétés, discrètes mais innovantes, s’imposent sur des marchés mondiaux de niche, où la qualité prime sur la quantité. Par exemple, la fabrication de produits en caoutchouc et plastique représente autour de 30% dans certaines catégories industrielles, et l’industrie chimique pèse aussi double-chiffre dans les parts de CA de l’industrie.
Le casse-tête européen : négociations suspendues
Cet essor se heurte toutefois à un obstacle majeur : l’absence d’accord d’association entre Monaco et l’Union européenne. Depuis septembre 2023, les négociations entamées en 2015 sont suspendues, les deux parties jugeant que les conditions n’étaient pas réunies pour finaliser un texte. En l’absence de cadre clair, de nombreuses entreprises rencontrent des difficultés à exporter vers les pays européens ou à participer à des appels d’offres internationaux. Les secteurs touchés vont de l’industrie chimique et pharmaceutique à l’agroalimentaire et aux cosmétiques. « L’absence d’accord bloque les exportations vers l’UE de certaines de nos entreprises, ce qui a un effet négatif sur leur chiffre d’affaires, et donc sur leur viabilité, et en conséquence, à terme, sur l’emploi », avertissait Philippe Ortelli, Président de la Fédération des Entreprises Monégasques (FEDEM), dans L’Observateur de Monaco. Aujourd’hui, aucune date n’a été annoncée pour une reprise des discussions. Le Gouvernement a toutefois insisté sur sa volonté de maintenir le dialogue et de ne pas « tourner le dos à l’Europe ». La question demeure : comment concilier les spécificités monégasques avec les exigences du marché unique ?
* Depuis quatre ans, le CEMA organise l’Africa Day pour rencontrer des chefs d’entreprises du continent africain triés sur le volet et faire du business.